Jaymes L. Murphy

Elle voyait ces lèvres bouger en un balai entraînant, formant des mots qui eux-mêmes formaient des phrases. Rien à faire. Elle voyait bien que Mike voulait communiquer avec elle mais elle ne comprenait pas un traître mot. C’était comme regarder la télévision sans le son. Jaymes leva les yeux au ciel rapidement avant de lancer un regard distant au jeune homme. Pourquoi, pensait-elle, les humains – non, la plupart des êtres vivants – avait cette irrépressible envie de débiter le plus de mot à la seconde ? De longues phrases, pleines d’adjectifs qualificatifs et de mots ayant pour seule utilité d’étoffer des propos déjà bien assez longs. Le bourdonnement incessant qui émanait de la bouche de Mike s’était subitement interrompu et sans que Jay s’en aperçoive.
« Tu ne m’écoutes pas ? » Lui demanda-t-il, une once de reproche dans la voix.
« Si, répliqua-t-elle, Je dois y allez » ajouta-t-elle en se levant du banc et en balançant son sac sur son épaule.
D’un pas gracieux elle s’éloigna sans autres explications. Jaymes n’avait jamais été une grande bavarde ; ses réponses était la plupart du temps courtes et précises. Elle ne ressentait que rarement le besoin d’expliquer, d’argumenter. Sûrement parce qu’elle était toujours sûre d’elle-même et des raisons qui la poussait à agir. Elle était plutôt du genre à se taire et observer. Evidemment, avec les personnes qu’elle appréciés elle était plus loquace ; mais elle ne serait définitivement jamais une pipelette. Un sourire fugace traversa son visage à cette idée puis elle s’enfonça dans la forêt.

La lune était déjà haute dans le ciel, grande dame voilée, au milieu d’un ciel sombre où seules ses brillantes compagnes étaient présentes. Nul nuage ne venait troubler ou cacher la voûte céleste. Il était en effet une heure avancée de la nuit, et nul respiration ne venait déranger le calme olympien de la forêt. Seule Jaymes qui traversait agilement la forêt venait troubler le calme ambiant. Ces pas étaient légers mais trahissait une certaine détermination. Après quelques minutes de marches silencieuses, elle arriva dans une immense plaine, parcourue de mille et une fleurs fermés, qui se reposaient avant le retour du soleil. Sans contempler outre mesure ce magnifique paysage, elle se mit a grimper le long d’un arbre, avant de prendre place sur une des branches, mi-allongée, les jambes pendantes dans le vide. C’était là qu’elle venait se ressourcer, qu’elle venait trouver la paix, c’était là, dans ce lieu propice à la réflexion, qu’elle venait prendre ses grandes décisions ou simplement penser. Et ce soir, alors que le sommeil n’arrivait pas à apaiser quelques anciennes angoisses, elle s’était réfugiée ici dans l’espoir de trouver le calme nécessaire à la méditation. Le vent se leva, il glissa le long des hautes herbes, faisant bruissée la nature, faisant frissonner la belle. Perdue dans ses pensées, elle repensa alors à son enfance, de vagues réminiscences d’un passé désormais révolue et qu’elle pensait oubliées lui revinrent alors, puissant et véridique mais subsistait encore et toujours un trou. Saleté de mémoire …

Son premier souvenir était celui de Drakan la main tendue vers elle et le bonheur qui avait inondé son être. C’était déstabilisant parce que même près de 14 ans plus tard elle éprouvait encore avec la même intensité cette reconnaissance qui l’avait submergée. C’était comme si elle avait toujours espéré voir cette main tendue. Pendant un court instant elle l’avait vu tel le père qu’elle n’avait jamais eu – mais peut être en avait-elle eut ? Et cette première impression fut renforcée par les années qui passèrent. Certes la petite bévue qu’elle avait commise en ouvrant le portail avait certainement déçut celui qu’elle considéré comme son paternel ce qui - avouons le – la rend tout de même honteuse. Mais au-delà des remontrances qu’elle avait du subir – et qu’elle devrait certainement subir pour longtemps encore - elle n’éprouvait de regrets que par rapport aux deux morts qu’il y avait eu. Le reste n’était que d’insignifiant détails, détails dérangeant tant par leur odeur que par leur évidente envie de la tuer mais insignifiant tout de même. Comment qualifier autrement ces créatures qui avait anéantit deux vies en l’espace de quelques instants ? Comment qualifier ceux qui avaient faillit détruire la sienne si Traeson n’était pas venue à ses côtés ? Détails insignifiants lui semblait parfaitement convenir. Quant à Traeson elle avait un grand respect pour elle, même si le tabou ne tolérer pas des rapprochements entre les races. Mais qu’avait-elle à en faire ? Devait-elle renier une personne qu’elle apprécié parce que quelques esprits un peu trop étroit en avait décidé ainsi ? Un rire cristallin s’échappa de ses lèvres quand cette pensée lui traversa l’esprit. Non, décidément elle ne se ferait jamais à cet interdit. On la qualifié de rebelle, elle se sentait plutôt libre. Libre de toute contrainte, libre de toutes règles. Traeson était quelqu’un de fondamentalement bon même si ses dents étaient plus longues que les siennes. Apparemment la discipline ne serait jamais une de ses qualités. Elle n’avait qu’une vague notion de l’obéissance et de ses devoirs, c’était pour elle une notion abstraite en décalage avec la réalité. Il était étonnant que Drakan ne se soit pas encore arraché les cheveux avec elle.
Le flux continu de ses pensées s’arrêta soudainement et elle descendit de l’arbre d’un bond arrogant de facilité. Elle supportait mal l’inactivité et ressentait le besoin de bouger même si elle n’avait aucune destination. Mais cela ne la gênait pas vraiment, elle avait toujours agit selon son instinct. C’est comme ça qu’elle compensait son inexpérience ; en écoutant ses pulsions.
Un craquement se fit entendre, elle sursauta et se positionna face à l’endroit d’où provenait le bruit. Les jambes légèrement fléchies, le regard aux aguets, prête à bondir s’il le fallait. Un mince sourire étira ses lèvres, instant fugace où elle prit conscience qu’elle aimait sa condition de Lycan – elle était vraiment à l’aise avec ça. Des sens surdéveloppés et une impression de puissance assez enivrante. Elle savait qu’elle devait cesser d’être aussi confiante en ses muscles mais quoi ?
Elle sentit qu’elle n’avait rien à craindre avant de voir l’animal. Elle avait sentit l’odeur caractéristique des cerfs mêlés à la peur d’être découvert par elle. Elle éclata de rire avant de reprendre son chemin.

* Faut te détendre un peu, personne va te sauter dessus ! * se gourmanda-t-elle. Elle passa sa main sur son front et repoussa les mèches rebelles d’un geste absent. Elle imaginait la réflexion Thomas s’il avait été présent. Quelque chose du genre « Le grand méchant loup à peur d’un petit cerf, bouhou !». Elle poussa un soupir exaspéré. Même quand il n’était là il arrivait à l’emmerder. C’était grave quand même. Elle se mordit la lèvre pour retenir le sourire qui menaçait d’apparaître. Le souvenir d’une joute verbale menée il y a quelques années lui revint à l’esprit. Evidemment Thomas l’avait menée d’une main de maître mais c’était trop facile, elle n’était pas aussi habile que maintenant.

« Tu es vraiment lente, tu ferais mieux de t’entraîner. Si tu veux tu peux venir avec moi … » Lui avait-il dit, avant de rajouter « Bien sûre, il faudra pas m’en vouloir parce qu’il y a de forte chance que tu tiennes pas le rythme ! »
Jaymes ne répliqua pas. Elle l’observait. Elle se demandait pourquoi il se sentait obliger de lui parler comme ça. Certes, c’était un jeu et elle en acceptait les règles mais … Il lui tardait le jour où elle aurait la réplique qui lui clouerait le museau. Juste quelques précieuses secondes. Et le voilà qui repartait, gonflant sa poitrine de fierté et débitant un flot d’âneries consternantes. Elle secoua la tête et décrocha au bout de quelques secondes. Mais Thomas ne se découragea et affronta son silence sans broncher. C’était un peu ça, leur relation. Il en était à énumérer les qualités qu’il avait et qui lui faisait défaut quand elle se décida à répliquer.
« Ta gueule, Thomas » Net, clair et précis. Elle n’était même pas obliger de rajouter son prénom mais elle voulait donner à sa réplique un caractère plus autoritaire.
« Tu vois, encore une chose que j’ai et pas toi. Je connais la politesse. Tu crains Jay, franchement tu pourrais être … »
« S’il te plaît ? » Le coupa-t-elle, un sourire carnassier se dessinant sur ses superbes lèvres, la voix mielleuse.
Thomas se stoppa et la regarda un moment de travers. Elle éclata de rire et lui sauta dessus en ajoutant « Sois pas étonné Toto, je sais être polie. C’est juste que j’ai pas envie ». Il fit claquer sa mâchoire lorsqu’elle lui donna un coup dans l’épaule et s’élança à sa poursuite en un éclat de rire tonitruant.

Ces yeux l’obsédé comme on l’est par une idée qui ne veut pas partir. Juste cette image des pupilles d’un bleu si profond qu’elle avait croisée au détour d’un immeuble. Le mot « croisée » n’était pas adapté, se reprit-elle avec un sourire contrit. Et dire qu’elle avait tout fait pour qu’il pose son regard sur elle serait un doux euphémisme. Elle ne travaillait qu’à ça, qu’il l’observe et qu’il la remarque. Mais visiblement, ce ne serait pas pour aujourd’hui. Certes il l’avait vu, mais sans faire attention. Comme un regard qu’on jette au hasard au milieu de la foule, comme l’attention qu’on porte à un détail insignifiant.
* Ces humains sont vraiment exaspérants. A se demander si les deux yeux qu’ils ont en plein milieu de la figure leur servent à quelque chose *
Certes, il n’y pouvait rien. Mais elle avait toujours – ou du moins d’aussi loin qu’elle se souvienne – eut des sens particulièrement accrus grâce à son statut de Lycan. Il n’empêche que les humains étaient vraiment aveugle – sourd et sans odorat également. C’est vrai quoi ! Elle pistait ce Mikaël depuis des jours – à vrai dire autant que son emploi du temps lui permettait – et il ne s’était pas une seule fois retourné. Elle ne savait pas s’il avait l’impression d’être épié mais si c’était le cas il le cachait bien. Elle soupira et passa sa main dans ses cheveux. Il était quand même trop beau – encore heureux parce que sinon ce qu’elle était en train de faire ne servirait à rien. Par « ce qu’elle était en train de faire » signifie non seulement récupérer des informations sur un humain dont elle était attirée de façon irrationnelle mais aussi risquer de se mettre à dos tous les Lycans en flirtant si ouvertement avec les limites que le tabou imposé. Même si pour elle cette règle n’était qu’un prétexte pour donner de l’importance aux Lycans et aux vampires, elle sentait quand même poindre quelques remords au creux de son estomac. Perdue dans ses pensées, elle n’avait pas remarquée qu’il s’était arrêté et semblait être dans une conversation animée avec une jeune femme, plutôt pas mal par ailleurs. Tranquillement, elle prit appuie sur la façade d’un magasin et tendit l’oreille. D’après les bribes de la conversation elle était une fille qu’il avait rencontrée en soirée et avec laquelle il avait gardée contact. Après qu’ils se fussent donnés rendez-vous dans un bar le soir même, ils se séparèrent. Jaymes sourit et attendit que la fille passe devant elle pour lui toucher le bras. L’inconnue – qui, apparemment, répondait au prénom de Laure – sursauta et se tourna d’un bloc vers elle, l’air méfiante. Jaymes se constitua un visage avenant et innocent – bien loin de la moue boudeuse qu’elle abordait tout le temps.

« Hum … Excuse-moi mais, tu connais Mikaël, n’est-ce pas ? » dit-elle d’une voix hésitante
Laure répondit par un hochement de tête, tout en l’observant de travers.
« Okay, je pense que ça va te sembler bizarre mais je viens de te voir avec lui alors que j’était dans cette boutique, dit-elle en désignant la vitrine derrière elle, En fait je suis une ancienne amie de Mikaël, mais par un concours de circonstance il me considère plus en tant que tel. Comment dire … Tu sais, des rumeurs on courue sur moi et de fil en aiguille il les a cru. Bref, c’est assez compliqué. J’ai tout fait pour m’excuser mais il a changé de numéro parce qu’il a perdu son portable. Du coup j’ai plus son numéro. J’ai bien essayé de lui parler en face mais c’est à peine s’il daigne me regarder … Oh fait ! Je m’appelle Jaymes »
Laure hocha une nouvelle fois la tête et l’observa attentivement. Jaymes était une belle femme, pour ne pas dire une superbe femme. Elle dégageait une aura charismatique, comme auréolée d’une douce lumière. Tout en elle était un appel à l’élégance, la grâce et la distinction. Ses longs cheveux havane cascadaient autour de son visage en de grosses boucles, rendant son visage fin et harmonieux. Elle avait de magnifiques yeux, d’un vert étonnant qui brillaient comme des émeraudes. Sa bouche gourmande était plissée en un sourire intimidé. Jaymes semblait très gênée par la demande qu’elle lui faisait. Laure se rendit soudainement compte que le silence dans lequel elle s’était plongée était presque impoli, elle se présenta alors rapidement, avec un large sourire.
« Je suis Laure ! Et pour ce qui est de ton petit problème, ne t’en fait pas. Je connais bien ce genre de situation. Tu as un papier ? »
C’est ainsi qu’elle avait récupéré le numéro de son beau. Le mensonge avait toujours était un de ses atouts. Grâce à son imagination débordante, elle arrivait sans problème à créer un contexte et son grand sens du théâtre ,a donné réalité aux chimères de son esprit. C’est satisfaite qu’elle repartit vers son appartement. Plus besoin de le suivre, il lui suffisait de trouver une excuse valable pour l’appeler et le pousser à accepter l’invitation qui s’en suivrait … Théoriquement c’était réalisable. En pratique, beaucoup moins. Elle devrait se heurter à sa réticence – justifiée – et user de tout son charisme pour avoir son approbation. Mais les défis ne l’avait jamais effrayé. Un sourire traversa son visage, on pouvait même dire qu’elle en raffolait.